Programme : Les voix d'Ariane 6

Ariane 6 : des moteurs pour toutes les missions

30 Mai 2024 - 9 minutes
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Résumé de l'épisode

Ariane 6 est équipée de trois types de moteurs ayant chacun un rôle précis. Parmi eux : le Vinci, moteur de l’étage supérieur capable de se ré-allumer pour placer les satellites sur différentes orbites. Les précisions de Frédéric Masson, chef de projet propulsion liquide Ariane 6.

Bonjour Frédéric !

Bonjour.

Frédéric Masson, vous êtes ingénieur au CNES depuis 15 ans, spécialisé en propulsion. Vous avez occupé deux postes différents sur le projet Ariane 6, vous allez nous en parler dans un instant, mais d’abord, dites-nous, qu’est-ce que ça représente pour vous, Ariane 6 ?

C'est un peu un rêve d'enfant de pouvoir travailler dans le spatial. Quand je suis sorti de mon école d'ingénieur, à la fin des années 1990, ce n’était pas acquis du tout que je puisse rentrer dans le spatial. Et puis, quelques années plus tard, le CNES m'a pris pour travailler dans le spatial, je suis très reconnaissant au CNES pour ça. Et mon ambition, c'était de travailler sur le développement d'un nouveau lanceur et c'est ce que j'ai eu la chance de faire pour Ariane 6.

Et en quoi consistent vos missions ?

Je suis arrivé sur Ariane 6 depuis cinq ans : les quatre premières années, j'étais coordinateur de l’embedded team. L’embedded team, c'est une petite équipe d'experts des agences qui sont détachés dans l'industrie pour apporter leur expertise, aider au développement Ariane 6 et assurer une bonne liaison entre l'industrie et les agences.
Et ça fait un peu plus d'un an que je suis chef de projet propulsion liquide.

Frédéric, parlons maintenant de votre spécialité : la propulsion. Ariane 6 est équipée de plusieurs moteurs qui s’allument à différents moments du vol. Est-ce que vous pouvez nous parler de ces nouveautés sur lesquelles vous avez travaillé ?

Dans les parties assez nouvelles, il y a l'étage supérieur d'Ariane 6 : il y a un nouveau moteur qu'on peut allumer plusieurs fois. Ce nouveau moteur, c'est le Vinci. Et ça permet de faire des missions plus variées que pour Ariane 5.
Sur Ariane 5, on ne peut allumer qu'une fois le moteur de l'étage, du coup celui-ci va rester sur cette orbite une fois qu'il a mis à poste le satellite, il va rester dans l'espace un certain nombre d'années, ce qui n'est pas bon pour la maîtrise, c’est-à-dire la limite du nombre de débris spatiaux dans l'espace.
Avec Ariane 6, comme on peut rallumer le moteur, une fois qu'on a mis le satellite sur une certaine orbite, on peut désorbiter l'étage : l'étage va retomber et ne va pas rester traîner dans l'espace de nombreuses années.
C'est vraiment une grosse amélioration entre Ariane 5 et Ariane 6.

Est-ce qu’il y avait des difficultés techniques liées à cette technologie ?

Il y a des enjeux techniques rattachés à ça, d'abord au moteur, parce qu'il faut tester le moteur plusieurs fois pour qu'il soit compatible avec plusieurs allumages. Il faut un allumeur qu'on puisse actionner plusieurs fois aussi. Mais il y a aussi beaucoup d'enjeux côté étage, et en particulier côté réservoir. Alors qu'on est dans un environnement de microgravité, il faut gérer le carburant pour qu'il soit bien au fond du réservoir, près de la ligne d'alimentation du moteur principal. Il ne faut pas qu'il chauffe trop, qu’il y ait du ballotement, il ne faut pas qu'il y ait des bulles dans le carburant ; le moteur n'aime pas ça.
Il y a une nouveauté sur l'étage, c'est un moteur auxiliaire qui s'appelle l’APU, il va être là pour utiliser le carburant des réservoirs pour les pressuriser et fournir une poussée pour bien tasser le carburant en fond de réservoir.

Et plus globalement, quels ont été les défis auxquels vous avez été confrontés sur Ariane 6 ?

D'abord, c'est un grand développement où je suis arrivé en cours de route, un peu à mi-parcours. Quand on arrive en cours de route, c'est toujours plus difficile qu'en étant là depuis le départ : il faut se reformer, il faut se mettre à niveau par rapport aux autres collègues qui baignent dedans depuis pas mal d’années.
Ensuite, quand je suis arrivé à l’embedded team, j'avais en charge les études système, pilotage, les phases transitoires. Ce n’était pas forcément les sujets sur lesquels j'avais le plus d'expérience. Il a fallu que je me mette un peu à niveau. En face de moi, j'avais des experts très pointus qui m'ont accueilli comme il faut et qui m'ont expliqué ce que j'avais besoin de savoir et je leur en remercie.
Et puis, un des rôles de l’embedded team, c'était d'assurer une bonne coordination, coopération entre les agences et l'industrie, et il y avait donc un aspect un peu diplomatique qui n'allait peut-être pas toujours de soi. Même si les gens, en général, ont envie de travailler ensemble, faire la liaison entre des entités différentes, c'est un effort particulier.

Quand vous repensez à ce projet, est-ce qu’il y a des réalisations qui vous rendent fier ?

Quand je suis arrivé sur Ariane 6, il y avait un souci technique : il y avait trop de ballotements d'ergol dans l’étage principal, et ça nuisait au bon pilotage de la fusée. ArianeGroup m'a demandé si je pouvais trouver des idées pour résoudre un peu tout ça via une analyse bibliographique, et c'est vrai qu'en fouillant dans ce qu’avait fait les Américains, on a trouvé un dispositif anti-ballotant utilisé sur la fusée Saturn, la fusée qui a emmené les astronautes vers la Lune. ArianeGroup s'en est inspiré pour un anti-ballotant qui a réglé le problème pour Ariane 6. Du coup ça, c'est une petite fierté parce qu’il y a un petit peu de mon travail sur un équipement Ariane 6, c'est pas mal !
ArianeGroup avait aussi besoin de connaître la gravité de manière très précise sur l'ensemble de lancement Ariane 6. La gravité, elle n’est pas uniforme sur Terre, elle varie de manière très subtile d'un endroit à l'autre, et pour recaler le pilote de la fusée comme il faut, avant le lancement, il faut bien connaître cette gravité. Et j'ai passé un contrat à l’IGN pour qu'ils réalisent une campagne de mesure là-dessus et qui a répondu au besoin d’ArianeGroup. Là aussi, j'en étais assez content. C'était un peu mission accomplie, c'est pas mal quand ça se passe comme ça !
Quelques mots sur l’embedded team : c'est une petite équipe avec des experts qui sont très pointus dans leur domaine, très motivés, qui donnent vraiment de leur personne et j'étais très fier d'appartenir à cette petite équipe et je les salue !

Frédéric, plus les jours passent et plus on s’approche du lancement. Quel est votre état d’esprit par rapport à ça ?

Il y a une tension, il y a une attente. On espère que ça va bien se passer et il y a beaucoup de choses à faire avant le lancement. De mon côté, on est dans les revues de qualification, les dernières revues techniques pour vérifier que tout est bien carré pour aller au vol : que les études sont bonnes, qu’il n’y a pas d'erreurs dedans, qu'elles sont bien cohérentes entre elles, que tous les essais qui devaient être faits ont été faits, qu'ils ont donné de bons résultats. C'est un peu la dernière ligne droite, c'est assez intense mais passionnant aussi : on ré-ouvre tous les dossiers, on les réexamine à la loupe.

Et où serez-vous le jour du lancement ?

J'aurai la chance d'être en Guyane pour le vol. Je serai à la Montagne des Pères dans un petit centre qui s'appelle le CVI et dont le rôle est de voir en direct l'évolution de ce qui se passe dans la fusée : évolution de pression, température, vitesse de rotation des pompes, etc. C'est important d'observer en direct ce qui se passe sur le lanceur parce qu’il y a plein d'analyses à faire une fois le vol effectué. Il y a beaucoup de données à analyser et cette première vision en direct de ce qui se passe, ça participe à cette analyse et c'est très important.

Après ce premier vol, outre les données à analyser, il y a aussi d’autres évolutions prévues d’Ariane 6 et je crois que vous allez travailler sur les améliorations des prochaines versions…

Une évolution majeure, c'est que les boosters des propulseurs à poudre qui sont de part et d'autre de la fusée vont être rallongés de manière à ce que ces boosters puissent pousser plus longtemps et augmenter la performance d'Ariane 6. Et côté propulsion liquide, il y a une amélioration qui est prévue côté Vinci pour qu'il puisse pousser plus fort pendant le premier boost, là aussi pour améliorer la performance. Ce sont des choses sur lesquelles je vais travailler.

Pour terminer, Frédéric, j’aimerais aussi parler avec vous de l’avenir : l’avenir d’Ariane 6 et l’avenir du spatial européen. Comment est-ce que vous voyez les choses ?

Pour l'avenir du spatial, on peut dire que ça bouge pas mal en ce moment et c'est plutôt bien. Il y a de nouvelles applications de l'espace qui arrivent, il y a le retour vers la Lune, il y a une nouvelle station spatiale autour de la Lune qui devrait voir le jour et à laquelle l'Europe participera. C'est plutôt pas mal et inspirant qu’il y ait de nouveaux horizons qui soient ouverts pour le spatial. En tant qu'ingénieur, tout ça me parle.
Et pour le retour vers la Lune, il y a une mission de l’ESA, Argonaut, qui devrait avoir lieu ces prochaines années avec Ariane 6 comme transporteur, et ça, c'est plutôt inspirant pour Ariane 6 !

Effectivement, on lui souhaite, bien sûr, une belle carrière !
Merci beaucoup, Frédéric Masson, pour votre témoignage !

Merci, à bientôt !

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