Ariane 6 et ses antennes : garder le contact
Résumé de l'épisode
Mettre au point et tester les signaux de communication entre Ariane 6 et le Centre Spatial Guyanais, c’est la mission de Nicolas Chambe, chargé d'affaires. Dans cet épisode, il présente l’installation spécialement créée sous le portique mobile pour le nouveau lanceur européen.
Bonjour Nicolas !
Bonjour.
Nicolas Chambe, vous êtes chargé d’affaires sur le projet Ariane 6. Avec vous, on va parler des signaux de communication entre le lanceur et la base de lancement au Centre Spatial Guyanais. Mais avant ça, dites-nous ce que ça représente pour vous, Ariane 6 ?
On est heureux de participer à un tel projet, on attend avec impatience le lancement, tout le monde a ça en tête. Ariane 6 m'a permis de me rapprocher du lanceur. Habituellement, j'étais au minimum à 12-13 kilomètres du lanceur, cette fois-ci, je me suis rapproché à quelques centimètres, donc c'est quand même enrichissant et intéressant de se rapprocher au plus près de la partie lanceur, d'avoir une vision globale système, entre les moyens de poursuite côté sol et les moyens côté bord.
Justement, pouvez-vous nous parler de votre poste et de vos missions ?
Je travaille à la direction du transport spatial du CNES, dans le service de la Sous-direction développement sol pour tous les travaux liés aux infrastructures sol en Guyane, et j'occupe le poste de chargé d'affaires sur le projet Ariane 6 et également chef de projet sur la partie station. Donc je m'occupe de l'analyse du besoin, l'écriture des spécifications techniques, l'envoi d'appel d'offre. Ensuite : démarrer une phase de développement industriel, avec une phase d'étude, une phase de fabrication, une phase de recette usine où on va valider le développement qu'on a prévu en Europe ; expédier le matériel ; l'installer sur site et être sûrs qu'après installation, tout fonctionne correctement pour le mettre à disposition des équipes CNES en Guyane qui étaient en charge des essais combinés.
Et en quoi consiste le système que vous avez développé ?
C'est un système pour communiquer entre la base de Kourou et le lanceur.
Cela regroupe les signaux de télécommande, neutralisation, les signaux de télémesure et les signaux des radars trajectographies qui permettent de restituer la trajectoire du lanceur.
Le besoin consistait à pouvoir tester tous ces signaux lorsque le lanceur Ariane 6 est protégé sous une grande infrastructure mobile, qui s'appelle le portique, vérifier qu'on est bien configuré, que ça communique bien. Donc il faut valider les types de signaux et tous les types d’échanges mais aussi qu'on est dans des performances nominales pour assurer l'exploitation des données, on pense notamment à la télémesure ou le décodage d’un message. En tout, on doit avoir 16 antennes à bord du lanceur, donc il faut arriver à tester les 16 sorties aériennes lorsqu'on est sous portique avec les moyens CSG. Ces moyens de tests permettent de garantir, de tester que tout fonctionne correctement, aussi bien à bord que côté CSG, mais également sur les moyens de poursuite.
Donc on est vraiment à l'interface entre le lanceur Ariane 6 et les moyens opérés par le CNES au Centre Spatial Guyanais à Kourou.
Nicolas, vous venez d’évoquer le portique mobile, un ouvrage essentiel qui permet de positionner et de verticaliser le lanceur. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette structure impressionnante et sur votre implication dans ce projet ?
C'est une structure métallique très conséquente, très imposante, très haute, on est sur 100 mètres, et donc du coup, c'était une aubaine, dans mon cas, de bénéficier d'une telle infrastructure pour un système d'antenne de répétition. J'ai bénéficié de toute la hauteur de cette infrastructure pour positionner les antennes relais qui visaient les antennes de Kourou pour les mettre le plus haut possible, mais avec une difficulté particulière, c'est que, malgré le retrait de plus de 100 mètres, elles étaient exposées quand même à l'ambiance au décollage. Donc si on les avait mises en toiture sur la partie la plus exposée, on avait un risque quand même de produire des OVNI, donc c'est-à-dire qu'elles se décrochent du portique et qu'elles volent au décollage. Donc elles sont positionnées pour la plupart à l'intérieur. Bien sûr, on n'est pas derrière le bardage métallique, sinon ça ne fonctionnerait pas pour émettre le signal en direction du CSG, donc ils ont créé, avec un matériau en polycarbonate, une vitre radio transparente qui nous permet d'émettre depuis l’intérieur du portique à travers cette vitre et donc d'assurer des liaisons tout en étant protégé.
Et en plus, cela offre des conditions bien meilleures pour les équipes qui vont exploiter le système. Au lieu d'avoir des antennes en toiture qui sont exposées à l’environnement extérieur en Guyane – exposition aux UV, à l'humidité – il y aura une meilleure durée de vie de ces systèmes, moins de probabilité de rencontrer des pannes, une meilleure qualité des liaisons et donc une réduction des coûts d'exploitation et de maintenance, associé à la position des antennes à l'intérieur. Et en plus, ils bénéficient d'un espace confortable pour opérer.
Autre chose au niveau du portique qu'on peut dire, c’est qu’il faut se connecter sur les antennes à bord du lanceur. L’accessibilité, elle n’est pas toujours garantie donc il faut composer avec l'environnement qui a autour de lanceur. Il y a eu des petites adaptations faites, on appelle ça « des décaissés », ce sont des portions qui nous permettent d'accéder, d'opérer, de manœuvrer pour pouvoir accéder en opération de la manière la plus aisée possible aux antennes pour pouvoir mettre en place les capots puis ensuite connecter notre système dessus.
Donc le portique, ce n’est pas facile en termes de chantier non plus, parce qu’il y a une coactivité aussi avec un grand nombre d’autres systèmes, des systèmes mécaniques, des systèmes fluides, des systèmes électriques. Il y a toujours un peu d'adaptation côté terrain pour pouvoir passer nos câbles parce qu’on a quand même des câbles de haute qualité, avec des rayons de courbure à respecter pour garantir les performances de notre système, donc on était très contraints pour avoir les cheminements les plus courts possibles, les plus directs. Il fallait se mettre dans un contexte avec des structures qui bougent, des autres moyens, des personnes qui circulent autour du lanceur, donc dans un environnement des fois chargé, je pense notamment au niveau des bras cryo.
Aujourd’hui, quand vous repensez au chemin parcouru, quels sont les accomplissements ou les fiertés qui vous viennent à l’esprit ?
On a essayé d'offrir un système fiable, performant. C'est une fierté d'avoir réalisé, développé, ce système depuis le début. Finalement, on a utilisé quelques briques qui étaient bonnes et puis on a amélioré, développé sur les points qui étaient un peu plus faibles. D'ailleurs, les retours que j'ai eus sur la mise en œuvre sont plutôt positif et puis tout le monde trouve que c'est une bonne idée d’avoir mis les antennes à l'intérieur avec les équipes méca du CNES. C'est forcément une source de satisfaction.
Nicolas, le premier lancement Ariane 6 arrive bientôt ! Que ferez-vous le jour J ?
Le jour du lancement, on sera en support si besoin, s'il y a un aléa, il faudra savoir répondre rapidement, efficacement aux questions. Personnellement, je ne m’attends pas à être sollicité ce jour-là, j'aurai une position plutôt support base arrière le jour du lancement. Je ne serai pas en Guyane mais bien sûr, avec la prudence et en espérant qu’il y aura le succès à la clé, donc on reste prudent parce qu'on ne sait jamais tous les aléas potentiels qui peuvent arriver, mais on a tous envie d'un grand succès qui sera très important pour le spatial européen, c'est certain.
Justement, comment voyez-vous l’avenir d’Ariane 6 ?
C'est grâce à Ariane 6 qu'on va retrouver de l'activité, donc les enjeux sont très importants pour toutes les entités qui participent à l'activité spatiale industrielle : CNES, ArianeGroup, ESA. On pousse tous dans le même sens pour retrouver de la cadence le plus rapidement possible. Il y a un calendrier qui est prévu sur les prochaines Ariane 6 sur fin 2024 sur 2025 et les carnets de commande sont pleins, donc c’est encourageant.
Et plus globalement, comment imaginez-vous l’avenir du spatial européen ?
On parle aussi du démonstrateur Callisto. C'est un démonstrateur issu d’une coopération allemande, japonaise et française pour un démonstrateur de retour d'étage. Je pense que ce démonstrateur est important pour acquérir de la techno sur la partie retour d’étage, si c'est ça l'avenir des futurs lanceurs, de faire de la réutilisation d’étage comme le font d'autres, notamment les Américains de Space X. Et voir ce que ça impose en terme d'organisation aussi : quand on suit un seul objet qui part ou quand on suit des objets qui reviennent, il faut l'anticiper, l'étudier et voir ce que ça représente en termes d'impact humain et matériel.
Et après, il y a tout le contexte lié aux start-ups de l'industrie, des entreprises européennes du privé, qui ont candidaté pour lancer depuis la Guyane. Il y en a un certain nombre amenées à compléter la gamme des lanceurs institutionnels qu'on a aujourd'hui, entre Ariane 6 et Vega.
Il faut se préparer, il faut anticiper pour accueillir ces éléments-là, côté infrastructures sol, et puis être dans une phase aussi de reconfiguration rapide de nos moyens pour enchaîner une Ariane 6 ou d'autres lanceurs de type micro-lanceurs.
Je pense qu'il y a un autre projet important pour le CSG, c'est le projet CDO, le nouveau centre des opérations, qui va permettre de mutualiser aussi les moyens informatiques et de se reconfigurer rapidement entre deux campagnes de lancement.
Il y a de grands projets qui sont lancés, il faut continuer à avancer, répondre et progresser et je pense que c’est comme ça qu'on retrouvera une belle activité en Guyane pour assurer les lancements.
Merci beaucoup Nicolas Chambe !
Merci.