Programme : Les voix d'Ariane 6

Ariane 6 : la coopération au cœur de l’aventure

04 Juin 2024 - 11 minutes
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Résumé de l'épisode

Maxence Malherbe, ingénieur sureté de fonctionnement, est membre de l’embedded team, une équipe d’experts du CNES et de l’Agence spatiale européenne (ESA) intégrée au sein d’ArianeGroup pour aider au développement d’Ariane 6.

Bonjour Maxence !

Bonjour.

Maxence Malherbe, vous êtes ingénieur sûreté de fonctionnement sur Ariane 6 et vous faites partie d’une équipe d’experts du CNES et de l'Agence Spatiale Européenne qui aide au développement du lanceur ; on va en parler dans un instant, mais d’abord, dites-nous ce que ça représente dans votre carrière, le projet Ariane 6 ?

Clairement, Ariane 6, c’est vraiment le premier gros projet sur lequel je travaille et je suis ravi que ça soit le premier ! On ne voit pas forcément le temps passer. C'est le développement d'une génération on va dire, le développement d'un lanceur lourd comme Ariane 6, c'est une fois tous les 20 ans, une fois tous les 30 ans. Donc c'est sûr que c'est un projet très enrichissant qui permet de gagner en expérience et en expertise comme on pourra peut-être rarement le faire plus tard, donc c'est aussi l'intérêt de travailler sur ce projet-là. Moi j'ai commencé à travailler sur Ariane 6 en 2017, c'est vrai que ça commence à faire quelques années maintenant, mais on en apprend quand même tous les jours. Le positionnement que j'ai, sur les différentes thématiques, me permet d'avoir une vision globale du développement, donc ça permet vraiment d'appréhender toutes les différentes thématiques d'un lanceur.

Alors avant de parler de vos champs d’intervention, j’aimerais m’arrêter un instant sur l'organisation qui est mise en œuvre sur le programme Ariane 6, et notamment l’équipe d’experts dont vous faites partie. Est-ce que vous pouvez nous expliquer qui fait quoi ?

On a trois entités principales : l’ESA, l'Agence spatiale européenne, qui est en charge du développement, et elle s'appuie sur un industriel, ArianeGroup, qui est maîtrise d'œuvre du lanceur, vraiment du lanceur pur ; et le CNES participe également à ce projet pour la construction du pas de tir et des installations sol en Guyane.
Et puis, on a une équipe projet au CNES à Paris qui est en interface directe avec l’ESA et ArianeGroup. Je fais partie de cette équipe projet qu'on appelle embedded team, donc en français « une équipe intégrée », qui travaille en coopération avec ArianeGroup d'un côté, sur le développement du lanceur, et avec une équipe, côté ESA, qui a un rôle de management. On est vraiment le trait d'union entre l'industriel qui développe, et l’ESA qui gère et qui supervise le développement.

Votre spécialité, c’est la sûreté de fonctionnement. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?

La sûreté de fonctionnement, c'est la maîtrise des risques globalement. C'est identifier tous les contributeurs à ce qui pourrait poser problème en vol sur le lanceur et essayer de mettre en place des mesures pour gérer ces risques et pour s'assurer qu'à la fin, il réussisse son vol de manière convenable et comme c'était prévu initialement.

Mais au sein de l’embedded team, vous travaillez aussi sur d’autres domaines, c’est ça ?

Dans cette équipe embedded team, j'ai trois rôles principaux : la partie sureté de fonctionnement, et deux autres dominantes qui sont tout ce qui est système électrique. Ça peut être un ordinateur de bord qui sert à envoyer des ordres pour allumer le moteur par exemple, ça peut être des équipements qui servent à communiquer des informations du lanceur vers le sol ou au contraire à recevoir des informations du sol vers le lanceur. Ça comprend les câbles électriques à l'intérieur.
Et la troisième dominante, c'est tout ce qu'on appelle les produits pyrotechniques. Les produits pyrotechniques à bord du lanceur servent à certains instants du vol pour détacher les différents éléments du lanceur au moment où on n’en a plus besoin. Typiquement, les boosters qui sont allumés au décollage, au bout d'un moment, le carburant qu’il contient est complètement épuisé et donc on s'en sépare pour gagner du poids et continuer la mission.

Maxence, vous m’avez dit que vous travaillez sur Ariane 6 depuis 2017 ; on imagine qu’il y a eu des hauts et des bas ! Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?

Les difficultés en général, on les a rarement tout seul. On en discute tous ensemble entre les différentes entités, ESA, CNES et ArianeGroup et c'est toujours un travail d'équipe et vraiment une coopération qu'on met en place pour surmonter justement ces épreuves-là.
En ce qui me concerne, la grosse difficulté a eu lieu il y a un an et demi : on a eu besoin de changer une partie assez importante de l'architecture, ce qu’on appelle « avionique » du lanceur, notamment sur la partie produits pyrotechniques ; à savoir comment on allume, comment on active ces produits pyrotechniques sur le lanceur au moment où on a besoin de les activer. Et donc, on s'est rendu compte qu’il y avait certains équipements, certains systèmes, qui ne fonctionnaient pas parfaitement et qui avaient besoin d'être modifiés, d'être ajustés. Cet ajustement était assez global sur le lanceur parce que ces équipements sont utilisés un peu partout. Donc ArianeGroup a très rapidement réagi là-dessus, le CNES et l’ESA ont suivi. Donc c'est vrai que ça nous a fait prendre du retard, ça nous a fait poser beaucoup de questions, il y a eu une grande remise en question. J'ai directement contribué et participé avec ArianeGroup à proposer des alternatives pour que, à la fin, le lanceur Ariane 6 puisse décoller. Là maintenant, on en arrive un peu au bout, avec des produits qui sont plus robustes, avec des technologies qui fonctionnent mieux. L’année 2023 a été une grosse année, mais en même temps, c'est ça qui est motivant, c'est ça qui rend le travail intéressant, c'est d'être toujours un peu dans une dynamique sans jamais vraiment s'arrêter.

Si on parle maintenant des réussites et des fiertés, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ?

Le fait de pouvoir rejoindre l’embedded team, c'est une fierté, notamment parce qu’elle est composée d'experts dans différents domaines et ils sont reconnus pour leur expérience et pour leurs compétences. Dans l’embedded team, on n'est pas très nombreux, on choisit des personnes qui ont vraiment une plus-value et là-dessus, c'est vrai que je suis fier de pouvoir contribuer au projet Ariane 6 dans le cadre de cette équipe.

Et est-ce qu’il y a eu des moments particulièrement forts ?

C'est vrai qu'il y a quelques moments où on apprécie vraiment de travailler sur ce projet-là, notamment depuis quelques mois ou années, où on commence à avoir des essais qui sont réalisés, notamment en Allemagne et en Guyane, sur les différents étages du moteur. Lors de l'essai à feu long, il s’agit de l'étage principal d’Ariane 6, on a testé le moteur pendant 8 minutes, et c'est vrai que participer à cet événement avec les différents ingénieurs autour de nous, avec cette effervescence un peu du moment, de voir les choses avancer avec la chronologie, ça donne un peu de concret au projet, ça « récompense » un peu tout le travail fourni depuis pas mal de temps.

Maxence, le premier lancement d’Ariane 6 approche ! Où en êtes-vous de votre mission et que ferez-vous le jour du tir ?

C'est vrai qu'il nous reste pas mal de travail à réaliser pour finir de qualifier le lanceur et donc, quasiment jusqu'à la date du tir, on aura des choses à faire, on aura des dossiers à valider. On a encore la tête dans le guidon et pour autant, on a hâte et on se prépare déjà aussi à la date du lancement.
Personnellement, je serai aux Mureaux, ce qu'on appelle « la base arrière », donc c'est ceux qui servent à aider ceux qui sont en Guyane pour résoudre des anomalies ; des anomalies sur différents équipements, il y en a qui peuvent tomber en panne, il y en a qui peuvent ne pas bien recevoir les commandes qu'on leur envoie. Étant donné qu'on est encore au sol, on a le temps de se poser, on met le lanceur dans un état de sécurité et on prend le temps d'expertiser l'anomalie et dire « Effectivement, c'est ça le problème, voilà comment le résoudre, et ok on peut repartir dans la fin de la chronologie ». A mon avis, il y aura quand même des anomalies à résoudre pendant la chronologie, donc il ne faudra pas relâcher la pression. Même pendant le tir, c'est encore un moment où on est à fond dedans et la pression redescendra vraiment après ! Ce sera une grosse journée mais ça sera une belle journée, c'est sûr !

Et après le lancement, vous travaillerez à l’analyse des données du vol ?

Oui, tout à fait : il y aura toute la partie avant le vol, toute la partie pendant le vol, où je serai toujours dans la salle aux Mureaux à suivre le lanceur, on aura alors des informations qui nous redescendront directement en salle de l'état de bonne santé du lanceur : est-ce que la propulsion fonctionne bien ? Est-ce que les équipements électroniques fonctionnent bien ? Et puis ensuite, il y a différentes manœuvres de fin de vie qu'on cherche aussi à réaliser à la fin du vol pour éviter de laisser des débris notamment en orbite autour de la Terre. Jusqu'à ce moment-là il y aura des choses à faire de manière active, opérationnelle. Ensuite, dans les jours qui vont suivre, il y aura énormément de données qui vont être analysées et il faudra vérifier que tout s'est bien passé, voir ce qui s'est mal passé et comprendre pourquoi. Mais effectivement, ça permettra d'en apprendre plus et c'est vraiment tout l'intérêt d'un premier vol : de continuer à apprendre des choses qu’on n’a pas pu forcément détecter au sol.

Et comment voyez-vous l’avenir d’Ariane 6 ? Vous allez continuer à travailler sur son développement ?

Ariane 6 a de longues années devant elle, on l’espère en tout cas ! On sait très bien qu'il va y avoir des évolutions dans les années à venir, des évolutions qui vont lui permettre d'être plus compétitive, de pouvoir réaliser des missions différentes, et donc à ce titre, le développement continue. Il y a encore du travail, notamment dans le cadre de l’embedded team, donc oui, je continuerai à travailler sur Ariane 6 pour réaliser ces évolutions et avoir un lanceur finalisé qui puisse réaliser tous types de missions, comme c'était prévu initialement.

Maxence pour terminer, dites-nous, plus globalement, comment est-ce que vous voyez l’avenir du transport spatial et des missions du CNES ?

Ce qu'on voit, c'est qu’actuellement on a énormément d'investisseurs privés qui veulent se lancer dans l'aventure spatiale et donc on a beaucoup d'industriels qui développent leurs lanceurs en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie. On voit qu'il y a également des bases de lancement qui se développent.
On parle beaucoup de lanceurs mais on peut imaginer aussi des cargos qui viendront ravitailler en orbite des satellites, des véhicules qui viendraient capturer des débris en orbite et puis les faire brûler en les descendant dans l'atmosphère. Également tout ce qui est lié à l'observation de la Terre, au climat. En fait, on voit qu'il y a plein de missions possibles, il y a plein d'utilité au spatial, ça rend les choses dynamique. Et l'intérêt de continuer à travailler au CNES, c'est de pouvoir justement participer à cet essor-là, car le CNES a vraiment un rôle un peu central là-dedans, de garantir la politique spatiale en France et d'aider ces différents industriels. Encore une fois le CNES a l'expérience et l'expertise au travers des nombreux développements Ariane pour les aider et puis aussi pour essayer de les attirer à tirer depuis la Guyane, donc il y a une base spécifique qui est en train d'être rénovée actuellement pour les accueillir.
Et puis après, il y a plein d'autres projets en interne du CNES : des projets sur différentes capacités, notamment la réutilisation des lanceurs ou la récupération des étages. Pas mal de projets également sur la sauvegarde, sur des kits embarqués qu'on pourrait proposer justement à ces nouveaux lanceurs. C'est aussi un des avantages de travailler au CNES, c’est de pouvoir participer, au niveau européen, à l'aventure spatiale.

Merci beaucoup Maxence et bonne continuation !

Merci !

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