Programme : Les voix d'Ariane 6

Ariane 6, mode d’emploi

13 Juin 2024 - 11 minutes
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Résumé de l'épisode

Informations techniques, pièces à fabriquer, retour d’expérience suite aux essais réalisés… Le dossier de qualification rassemble 60 documents qui expliquent le fonctionnement d'Ariane 6. Caroline Aussilhou était en charge de coordonner ce dossier pour le présenter lors de la revue de qualification, l'examen final d'Ariane 6 et de son système de lancement. Elle raconte.

Bonjour Caroline !

Bonjour.

Caroline Aussilhou, vous êtes architecte système de lancement dans l'équipe intégrée de l'Agence spatiale européenne et du CNES. Vous avez travaillé sur la coordination du dossier de qualification d’Ariane 6, et c’est ce dont on va parler avec vous aujourd’hui, mais pour commencer, dites-nous ce que représente le projet Ariane 6 dans votre carrière ?

Moi, ça m'a apporté beaucoup de compétences, connaissances nouvelles. C'est de m'avoir permis de travailler avec l'Agence spatiale européenne, c'est de voir une autre culture, une autre structure, certes très proche du CNES, très proche de l'Agence spatiale française, mais quand même. Ca m'a permis de voir l'autre côté du miroir parce que je n'avais jamais travaillé, au sein d'un projet, en tant que chef de projet, c'est le cas maintenant. Donc une nouveauté, un éclairage différent, au-delà même de la capacité de travail qui, quand même, m'a permis de dépasser mes limites sur Ariane 6.

Et est-ce que vous pouvez nous parler de votre poste et de vos missions ?

Je suis architecte du système de lancement. Le système de lancement, c'est l'ensemble du lanceur avec son pas de tir, sa zone de lancement, et nous faisons en sorte que la fusée et son pas de tir se parlent bien, c'est-à-dire soient compatibles en termes de spécifications, en termes de réalisation, que ce soit dans le domaine électrique, le domaine fluide, le domaine pyrotechnique ou le domaine mécanique pour pouvoir intégrer une fusée sur son pas de tir dans les meilleures conditions pour faire une campagne la plus courte possible, la plus efficace possible.

Vous aviez aussi la charge de coordonner le dossier de qualification d’Ariane 6. Vous pouvez nous expliquer de quoi il s’agit exactement ?

Le dossier de qualification, ça va être le dossier qui va servir, déjà, pour prononcer la qualification, c'est-à-dire l'aptitude au lancement de cette fameuse fusée Ariane 6, mais également un dossier qui va servir pour toute la vie d'Ariane 6 et qui va permettre également à toute la phase d'exploitation de gérer les potentielles anomalies, les potentielles dérogations qu'on pourrait avoir et qui donc permettra d'avoir le moins de problèmes possibles, le plus de rentabilité possible pour atteindre la cadence de lancement à Ariane 6, puisqu'il faut savoir que la cadence de lancement Ariane 6 est plus grande que celle d'Ariane 5 à termes.

Caroline, une fois le dossier finalisé, vous avez dû le présenter devant un jury d’experts du spatial. C’est la revue de qualification. Vous pouvez nous en parler ?

Dans le développement, on atteint la phase finale qu'on appelle la revue de qualification, et cette revue de qualification du système de lancement, elle s'est conclue tout récemment, le 29 avril, avec ce qu'on appelle le Board, donc un comité directeur pour sanctionner cette revue de toute la documentation Ariane 6, que ce soit côté lanceur ou côté système, et pour vérifier si on est bien qualifié. Cette commission a demandé un complément de revue parce qu'on n'a pas réussi à fournir tous les dossiers de façon satisfaisante dans le sens que, la qualité était clairement là, les analyses sont rigoureuses mais les sujets sont encore ouverts : il nous faut encore des essais, on a encore besoin de certains tests pour pouvoir clore les dossiers. Cette revue va se réunir à nouveau pour sanctionner la fin de la revue de qualification et donc donner en quelque sorte l'autorisation de lancement.
Pour la petite anecdote, on a fait un polo pour la qualification : on a copié le symbole James Bond et au lieu d'avoir le « Licence to kill », on a donné le « Licence to fly ». Donc cette revue de qualification, c'est le « Licence to fly » d'Ariane 6 !

Et qui fait partie de cette commission ?

Cette revue de qualification, c'est une centaine de personnes qui sont choisies pour leurs compétences par le projet lui-même. Cette centaine de personnes de tous les domaines sont répartis en 6 groupes techniques et ils ont à regarder, les uns, comment la définition est amenée sur le système, les autres, comment les essais ont permis de démontrer, de valider la spécification. Un autre groupe spécifique pour la mission du premier vol inaugural Ariane 6, et ensuite, des domaines plus techniques : un groupe chargé de la définition électrique, des groupes chargés du pilotage... C'est l'ensemble de ces groupes qui doivent rendre leur rapport, à savoir : quelles sont les choses à améliorer soit pour le premier vol, donc ça c'est ce qu'on appelle les « vérifications bloquantes vol », soit pour la qualification, parce qu'on peut être apte pour cette mission donnée pour le premier vol avec la charge utile qu'on emporte, mais on ne peut pas forcément être qualifié pour toutes les missions, et donc c'est ce qu'on appelle « bloquant qualification ». C'est une revue importante, ça sanctionne tout notre travail. Même si on est confiants dans nos dossiers, on a hâte d'avoir leur réponse. « Licence to fly, Ariane 6, vous pouvez décoller ! »

Oui, parce que la préparation de ce grand oral, ça a été assez éprouvant pour vous et vos équipes…

Cette préparation de cette revue, on le sait depuis longtemps qu'on va l’avoir et la question était « quand, à quel moment ? » parce qu'on a les essais en parallèle. On est la même seule équipe à devoir faire les deux, donc jusqu'à présent, on n'était pas dual et cloné, donc c'est un peu problématique. Il y avait une coordination d'ensemble à assurer, s'assurer que tous les dossiers étaient livrés en temps et en heure. On en avait quand même une soixantaine à livrer. C’était vraiment très très prenant avec beaucoup d'heures passées pour constituer toute cette documentation parce que, faire des essais, c’est bien, exploiter, c'est mieux mais rédiger et écrire pour montrer à autrui que, oui, c'est bien qualifié, c'est quand même une autre paire de manches. Mais le miracle s'est produit et tout le monde a investi, tout le monde a joué le jeu, franchement toute l'équipe, et ça, c'est vrai que c'est motivant.
Le 22 mars, à la fin de la semaine du kick-of, on était vraiment contents parce qu'on avait réussi l'impossible : on avait réussi à livrer toute la doc et à faire en sorte que notre revue se déroule dans les meilleures conditions. Et après, vous les suivez tous les jours pour répondre à toutes leurs questions.
Pour la petite anecdote, on est en conclave dans un lieu assez agréable aux Mureaux dans une forêt. On y mangeait très bien et à la pause de 10h, il y avait des cannelés ou des cookies, c'était très bien mais on a pris des kilos parce que, un mois à ce régime, bonjour ! (rires)

Et vous auriez d’autres moments forts à partager avec nous ?

Un autre moment fort à évoquer ici avec vous, ça concerne une autre partie de mon poste parce que je suis en charge de certaines analyses de risques, donc l’identification des risques de ce qu'on appelle la séquence synchronisée, les 5 dernières minutes avant le décollage, qui sont un ensemble d’un millier d'opérations (voire beaucoup plus) tout en automatique. Et lors de cette analyse de cette séquence synchronisée, j'ai été amenée à suivre certains essais et, notamment, l'essai d'allumage du moteur Vulcain du premier étage. Il y a eu beaucoup d'anomalies mais, j'ai trouvé, une sérénité dans le traitement des anomalies, avec une organisation de X réunions de façon très fluide, de façon calme, de façon construite. J'ai trouvé ça hyper gratifiant avec, le soir, épuisée mais la satisfaction du travail accompli. Si on pouvait avoir cette même sérénité pour le lancement, on profiterait pleinement de tout ce travail qu'on a fait, en amont, avec une campagne sereine.

Caroline, dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche du lancement ?

On va arriver à faire le dernier sprint final, cette dernière ligne droite qui est très longue avec beaucoup de dossiers encore à écrire, donc je n’imagine pas encore le jour J, c'est trop tôt même si c'est demain !
Je m'interroge si le jour du lancement, j'aurai la même émotion que j'ai ressentie lors du jour du lancement Ariane 5 de la version lourde en février 2005, après 121 jours de campagne, où ça a été pareil, un travail intensif mais un peu aussi le vide après ce lanceur qu'on avait tant peaufiné, tant travaillé, il n’était plus là, il était parti. Donc est-ce que ça va être la même émotion atténuée ? Je pense que ce qui, est clair, va être commun, c'est la satisfaction du travail accompli. Des cernes sous les yeux mais un grand sourire !

Et vous savez ce que vous ferez le jour J ?

Je serai en Guyane au poste de responsable sûreté de fonctionnement de la séquence synchronisée, qui combine l'ensemble des opérations automatiques pendant les cinq dernières minutes avant le décollage. Là, j'aurai ce rôle plus opérationnel de traitement d'anomalies pendant la campagne et pendant la chronologie de remplissage ou la séquence synchronisée.

Caroline pour terminer, Caroline, quel regard est-ce que vous portez sur l’avenir d’Ariane 6 et l’avenir du transport spatial, en général ?

Ariane 6, elle est déjà en train d'évoluer puisqu'on passe à la version lourde d'Ariane 6 avec des boosters à capacité augmentée pour permettre l'emport de satellites plus lourds, plus gros. C'est clairement, je pense, ce qui va se passer, comme pour l'évolution d'Ariane 5 où la capacité d'emport, elle a augmenté vol à vol, lanceur adapté après lanceur adapté. Ariane 6 a cette même modularité, cette même capacité d'évolution. Je pense qu'on aura toujours besoin d'une version lourde, donc avec capacité d'emport 8, 10 tonnes de charge utile.
Après, il y a effectivement l'arrivée de ce fameux Newspace avec plein d'autres lanceurs mais avec capacité beaucoup plus réduite.
Cette façon d'avoir une nouvelle gouvernance post-Ariane 6, pour ma part, je pense qu'elle va perdurer : on en a besoin, on ne peut pas le faire sans les agences, on ne peut pas le faire sans les gouvernements, ce qui veut dire que, pourquoi pas après une pause dans un autre domaine, je reviendrai sur Ariane 7 !

Merci beaucoup, Caroline Aussilhou !

Merci de m'avoir écoutée et pourquoi pas à bientôt !

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