Ariane 6 : satellites sous haute protection
Résumé de l'épisode
La partie supérieure d’Ariane 6, appelée « coiffe », abrite et protège les satellites. Au sol et pendant le vol, ces satellites doivent être maintenus dans un environnement irréprochable. Christian Dubois, ingénieur thermique, nous parle du système de ventilation du nouveau lanceur européen.
Bonjour Christian !
Bonjour.
Christian Dubois, vous travaillez sur Ariane 6 pour le CNES depuis 2016, en collaboration étroite avec l’ESA, l’Agence spatiale européenne. Votre mission, c’est d’assurer le confort thermique des satellites qui seront transportés par le lanceur, on va en parler dans un instant, mais d’abord, dites-nous ce que ça représente pour vous et dans votre carrière, le projet Ariane 6 ?
Travailler sur un projet comme Ariane 6, c'est vrai que c'est assez particulier, c'est un projet industriel de niveau européen, à investissement très conséquent, avec des enjeux industriels et aussi d'accès autonome à l'espace pour l'Europe qui sont très importants, donc c'est clairement un des plus gros projets sur lequel j'aurai l'occasion de travailler dans ma carrière. C'est vraiment une chance et un plaisir d'être impliqué dans ce type de projet.
Maintenant, revenons à votre mission. Expliquez-nous, concrètement, ce que vous faites sur Ariane 6…
Sur Ariane 6, j'interviens principalement en tant que support technique à l’ESA pour le sujet de la ventilation de la partie haute, ou de la coiffe. Il s’agit de la partie tout à l'avant du lanceur qui protège le satellite. Et donc la ventilation de cette cavité, c'est ce qu'on met en place pendant les phases au sol pour assurer que le satellite n'ait pas trop chaud, pas trop froid, qu'il ait de l'air pas trop humide et bien propre !
En fonction des satellites, les besoins ne sont pas les mêmes : il y a des satellites qui sont relativement standards, industriels et on a aussi des satellites scientifiques qui embarquent des instruments très perfectionnés, vraiment à la pointe et très sensibles, très fragiles et donc qui nécessitent une attention particulière et un environnement bien particulier, encore plus propre notamment. Et donc, c'est à tous ces besoins-là que doit répondre un nouveau lanceur.
Et que se passe-t-il si l’environnement dans la coiffe n’est pas assez adéquat, quel est le risque ?
Le risque, par exemple, c'est qu’on souffle trop fort sur le satellite et qu’on lui arrache des éléments très fragiles. Ça peut aussi être des petites particules qui se déposent sur des instruments optiques qui font que, une fois que le satellite est en orbite et veut faire des mesures ou des observations de la Terre ou autre, l'instrument ne soit pas pleinement opérationnel parce qu'il a été pollué, contaminé par ces particules. Ce qui est en jeu, c'est potentiellement une dégradation des performances du satellite pour faire sa mission.
Christian, quand vous repensez au chemin parcouru, quels sont les moments forts qui vous reviennent à l’esprit ?
Pour moi, un moment fort du projet, ça a été une campagne pendant laquelle on a allumé le moteur de l'étage principal. C'était un essai avec un enjeu technique particulièrement important, avec beaucoup de gens impliqués, et j'ai pu avoir la chance d'être en Guyane à ce moment-là et de voir concrètement la campagne se dérouler au plus près du terrain. Et donc c'était exceptionnel d’assister à ça ainsi qu’au dévouement des gens pour la campagne, l'esprit d'équipe aussi, c'était vraiment un événement marquant qui consacrait relativement bien tout le travail réalisé.
Et pendant ces essais, que faisiez-vous ?
Sur place, j'étais observateur et analyste des résultats obtenus après les essais. C'était un énorme plus dans ma mission de pouvoir le faire ainsi que de valider le fonctionnement global du système, de pouvoir comprendre comment se déroulent les opérations, de pouvoir aussi rencontrer les gens qui sont au plus près du matériel et des opérations, qui ont vraiment le concret au quotidien. C'était vraiment très intéressant d'assister à tout ça et de voir toutes les compétences des uns et des autres.
Quels ont été, d’après vous, les principaux défis ?
Je pense que le plus grand défi pour le périmètre sur lequel je travaille actuellement, ça a été plutôt au début, de bien s'approprier déjà tout ce périmètre, qui est finalement assez vaste parce que ça fait appel à des systèmes à la fois au niveau de la base de lancement et à la fois à l'intérieur de la fusée et donc ça nécessite de connaître suffisamment chacun des systèmes impliqués.
Il y a aussi des aspects opérationnels très importants, qui ne sont pas forcément les plus simples à formaliser dans des documents, et donc le challenge, ça a été d'aller collecter toutes ces informations pour en faire une synthèse. Ça a été un gros travail documentaire associé à ces étapes-là.
Christian, on vient de parler de tout le travail effectué depuis le démarrage du projet, mais ce n’est pas fini ! Où en êtes-vous de votre mission ?
Sur le sujet qui me concerne, le premier lancement est moins critique parce que les satellites qui vont être embarqués n’ont pas d'exigences très sévères en termes d'environnement dans la coiffe par rapport aux satellites plus classiques.
Il y a toujours des objectifs de vérification sur ce premier vol qui sont importants.
Il reste quelques difficultés techniques, toujours en cours de traitement, qu’il faut résoudre pour atteindre la performance voulue initialement et donc, à ce titre, je continue de travailler sur Ariane 6. Des fois, ça nécessite de modifier certains matériels, ce qui entraîne des délais d'approvisionnement, des fois, ça nécessite aussi de faire des études complémentaires. Et donc il y a tout un plan de travail à dérouler dans les mois et les années à venir pour traiter ces sujets les uns après les autres afin d’être prêt à pouvoir lancer tous les clients qui voudront voler sur Ariane 6.
Et que ferez-vous le jour du lancement ?
Que je sois à Kourou ou à Paris, je pense que je serai avec les équipes impliquées sur le projet pour suivre de près toute la campagne de lancement et avec un énorme intérêt et une certaine appréhension, pour tout le monde je pense, parce qu’un premier vol d'un lanceur lourd européen, ça arrive assez rarement dans une vie !
Justement, quelle est l’ambiance au sein des équipes CNES ?
C'est vrai qu'il y a des enjeux industriels, européens, politiques et scientifiques très importants. C’est une réalisation quand même exceptionnelle ; il y a énormément de gens impliqués, d'entités industrielles, étatiques, donc c'est, quelque part, un projet hors du commun. Tout le monde est très conscient des enjeux et de l'importance du moment, et donc forcément, il y a de l'appréhension et ça rajoute aussi, on va dire, à la solennité du moment. Mais oui, c'est un événement majeur au niveau industriel, au niveau européen, au niveau français…
Christian, on termine avec un mot sur l’avenir, votre avenir personnel au sein du CNES mais aussi l’avenir du transport spatial en général. Comment voyez-vous la suite ?
Le rôle du CNES, c'est aussi la préparation du futur, et dans ce cadre-là, j'ai aussi des activités de R&T (Recherche et Technologie) avec différents industriels français ou différents laboratoires.
On a aussi des projets de démonstration au CNES, notamment le projet Callisto qui vise à en apprendre plus sur la récupération d'un premier étage de lanceur réutilisable.
Et, d'un point de vue global, c'est vrai que le spatial, pas qu’européen mais mondial, depuis ces dernières années, connaît une forme d’effervescence avec beaucoup d'entreprises, de start-ups qui émergent, parfois avec des technologies de rupture et parfois avec des grandes réussites impressionnantes, comme on a pu l'observer du côté américain ! C'est un secteur qui est encore en évolution, ça reste palpitant de travailler dans ce secteur-là et je pense que, même si au niveau européen, il y a une concurrence industrielle qui se met en place pour le marché des petits lanceurs, qui peut aussi créer une sorte d'émulation et favoriser le développement des compétences, je pense qu'on aura intérêt, dans tous les cas, à maintenir une coopération étroite entre tous les pays européens pour avoir des programmes de type Ariane 6.
Merci beaucoup, Christian Dubois !
Merci, à bientôt.